La violence des mots

En ce moment, plusieurs thèmes d’actualité me touchent particulièrement.

Ce matin, dans les maternelles, l’émission était « Ces mots qui font mal à nos enfants »
Une émission sur la violence verbale, une violence difficile à prouver, à réprimer, et qui fait mal. Parfois plus que les coups.

La violence verbale fait mal
J’ai eu les larmes aux yeux à plusieurs reprises en écoutant les différents témoignages, tant cela a fait écho en moi.

L’une des invitées parlait de son père, injurieux et irrespectueux, qui a gâché toute son enfance.
Qu’elle a parfois souhaité qu’il meure pour ne plus subir ce harcèlement.
Qu’elle a peur, désormais, d’être comme lui, tant elle craint de reproduire le schéma parental.

Je ne la comprends que trop.
Aînée de trois enfants, fille d’un homme qui ne souhaitait pas avoir d’enfant et qui a dû quasiment s’y résigner quand sa femme lui a annoncé être enceinte.

Mon père, cet homme ambivalent.

Toute mon enfance, j’ai subi ses cris, ses injures
Pendant toute une partie de mon enfance, son grand plaisir était de me « pourrir » jusqu’à me faire pleurer.
À 10 ans, lors d’un repas de Noël, alors que je venais de me réfugier dans ma chambre pour pleurer, ma mère m’a ouvert les yeux sur le plaisir qu’il prenait à me mettre dans cet état, à se sentir puissant.
De ce jour, je n’ai plus jamais versé une larme. (Il m’aura fallu la naissance de mes enfants pour retrouver la capacité de pleurer d’émotion. Trop parfois)

S’en est suivi une période difficile, où j’ai testé diverses méthodes pour lui résister : crier plus fort, l’ignorer, être insolente…

Arrivée à l’adolescence, j’ai fini par en avoir assez de « jouer » et j’ai trouvé une méthode qui me permettait de garder la paix tout en étant pas la perdante de ce jeu malsain : acquiescer ironiquement : « Oui, papa, tu as raison, je suis une merde, je comprends même pas pourquoi tu perds ton temps avec moi ».
Radical. Je lui donne raison, il ne peut donc argumenter et continuer à s’emporter.

Tout cela s’est terminé un matin de novembre, j’allais avoir 18 ans, quand il a débarqué dans ma chambre, hurlant, et me sortant « toi, cela fait 20 ans que je te supporte, casse-toi !»

Je l’ai pris au mot.

Pendant quelques semaines, j’ai squatté à droite, à gauche, en donnant des nouvelles chaque soir à ma mère. Jusqu’à mes 18 ans où j’ai pu louer mon 1er appart, en abandonnant mes études et en bossant dans un fast-food.

Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que, même s’il n’a jamais levé la main sur moi (pourtant, il ne s’est pas gêné pour mes cadets), son comportement m’a « traumatisé ».
Je me suis sentie souvent dévaluée, mise plus bas que terre, salie….

Les mots font mal, plus, pour moi, que les coups (je parle là de fessée, hein, pas de battre quelqu’un comme plâtre)
Car les mots restent. On finit par se demander s’ils ne sont pas justifiés.

Dans l’émission, un des intervenants disait qu’un enfant finit par se conformer à ce que l’on dit de lui. Si on lui répète qu’il est maladroit ou idiot, il pense vraiment l’être et finit par vraiment le devenir.

Et je sais que c’est vrai. J’aurais pu devenir une « salope », une « conne », une « moins que rien » « bonne à rien » qui « ne fera jamais rien de sa vie ».

J’ai été, heureusement, épaulé par ma mère, mes amis, qui m’ont permis de ne pas me retrouver enfermé dans ce cadre qu’il voulait m’imposer.

J’en garde une vraie blessure, une tendance à m’emporter vite pour me protéger.
Je savais, par exemple, que je voulais devenir mère, mais j’ai longtemps hésité avant d’essayer d’être maman, tant je craignais d’être comme lui.

Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup de mal à supporter les cris. Une conséquence de cette ambiance malsaine dans laquelle j’ai grandi. Et qui m’apporte beaucoup de tensions dans ma vie actuelle, puisque je n’arrête pas de reprendre mes enfants, parfois en criant moi-même, un véritable non-sens.

Étrangement, aujourd’hui, je suis devenue un peu plus proche de ce père harceleur.
Il m’aura fallu disparaître de sa vie pendant deux ans, deux années pendant lesquelles mes proches ne lui ont jamais donné de nouvelles de moi, même à sa demande, pour qu’il essaye de se calmer (dur, il est comme cela) et qu’il finisse par tout faire pour reprendre contact avec moi.
Il aura fallu que je parte loin, ne le voyant quasiment plus (moins de six fois dans les six dernières années, il n’a jamais vu Titsinge pour le moment), pour qu’il ait envie de faire partie de ma vie autrement que dans la violence.

Et pourtant je sais qu’il m’aime. Car ce père qui était violent verbalement avec moi est le même qui rapplique en courant dès que j’ai le moindre souci, et prendrait ma défense contre le monde entier, si j’en avais besoin.
Une ambivalence qui me pèse, parfois.
Car j’aimerais avoir des relations normales avec lui. J’aimerais pouvoir faire en sorte qu’il ait une vraie relation avec mes enfants. Mais je n’arrive pas à me décider à passer à l’acte, par volonté de protéger mes enfants de ses emportements, de ses injures.

On ne choisit pas ses parents. On évolue à côté d’eux. La vie peut nous en éloigner. Les mots aussi.
Si jamais, un jour (mais c’est peu probable), mon père lisait ces mots, je voudrais qu’il sache que j’attends. J’attends toujours des excuses. J’attends toujours quelques simples mots : Je t’aime ma fille.

Crédit photo : http://www.eteignezvotreordinateur.com

6 commentaires sur “La violence des mots”

  1. Mon père s’est excusé… après des années de déni familial, j’ai pété un plomb, adulte, et il s’est excusé… en me demandant de n’en parler à personne… dommage, il s’était excusé et à gâché ses propres excuses… mais j’ai 2 autres billets qui vont suivre à ce premier que tu as lu…

    1. Je les lirais avec attention. J’avais parfois l’impression d’être la seule à penser que les mots abiment autant voir plus que les coups. Grâce à toi, je me sens moins seule 😉

  2. Je suis émue de vous lire, je viens de lire aussi le post de La Carne… Mon père a toujours dit si c’était à refaire je ne ferai pas d’enfants (j’ai un frère de 2 ans de moins), il ne s’interessait pas à nous, criait tous les soirs en rentrant du boulot, frappait de temps en temps mon frère. Et pendant ce temps, pendant des années il est monté tous les soirs dans ma chambre pour abuser de moi, pendant plus de 6 ans, quasi tous les soirs… ma mère qui a su quand j’ai eu 17 ans n’a rien dit n’a rien fait… il m’aura fallu attendre d’avoir 33 ans pour couper les ponts définitivement avec eux deux, pour enfin me libérer d’eux et protéger mes enfants. Aujourd’hui j’ai 4 enfants, cette blessure restera toujours en moi mais il ne m’aura pas pris la force et le bonheur de dire tous les jours à mes enfants combien je les aime… Vivez votre vie, avancez, moi la mienne je la vis maintenant sans parents, ils sont morts dans mon coeur et dans ma tête depuis bientôt 7 ans, et je vis mieux, j’apprends petit à petit à oublier mais je ne pardonnerai jamais…

  3. C’est émouvant tout ce qui peut sortir de nous après la cruauté. Il y a des jours où je m’étonne moi-même d’être encore vivante. Parce que quand mon père ouvre sa bouche, je ne souhaite rien d’autre que de mourir.
    Quand je lis une expérience comme la vôtre où certains points ressemblent à la mienne de très près ou d’un peu plus loin, c’est idiot mais je me sens moins seule et plus forte quelque part.
    Un jour peut-être arriverai-je à écrire/décrire plus explicitement ma propre relation avec mon père. Ça serait courageux de ma part.

    1. Merci à toi. Effectivement, c’est étrange mais en sachant que d’autres ont vécus la même chose, ça renforce quelque chose en nous. Bon courage

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